« Ce que j’ai fait n’appartient qu’à moi »

Vincent van Gogh à Arles

Eszter Rőhrig

30 novembre 2013

À L. C.

 

Rien n’est aussi jaune, aussi bleu, aussi rouge ni aussi vert. Ce n’est pas moi que les enfants jettent avec des trognons de chou. Pas de matelas dans mon lit, pas de rideaux aux fenêtres, le parquet craque. Sur ma table, la Joie de vivre. La joie de vivre appartient à qui sait vivre pour les autres, la joie de vivre est sacrifice de soi.

Derrière notre maison un passage à niveau, une gare, la locomotive siffle sans cesse à mes oreilles. Ce ne sont pas les rails mais c’est le sentier battu, l’ancienne route que je vois à côté du tremblai. Mon ami n’a pas peint de cheminée d’usine fumante, ni de poste de garde sur la voie aurélienne, dans le cimetière romain.

Au bout de la route des morts, il y a un tunnel creusé dans la roche, et des sarcophages tronqués suspendus dans le vide.

L’Atelier sud est vide. Je les ai appelés, j’attendais leur venue et entre-temps j’ai peint entièrement notre futur atelier commun. Parc automnal. Amoureux qui se promènent. Un séquoia ternissant vers le gris, le bleu moisi, le blanc.

Je vais le renverser sur eux, où est donc le soleil, pourquoi un chapeau de paille, pourquoi cette convoitise charnelle sous le pantalon sale de l’homme, il ne sent donc pas …… il ne sent pas les petits pas, le petit sac à main, le deuil de dentelle noire.

Mon sang blanc visqueux coule sur l’escalier en bois, sur la rampe, sur le carrelage du bistrot, sur la neige sale de la rue. J’ai laissé des traces. Demain, on m’emmènera dans la maison de Dieu, adieu la vie, l’Hôtel Dieu arrive, mais là-bas, il n’y aura pas de musique d’orgue, ni d’Angélus à la voix cristalline, que des murs épais, un cachot isolé.

On ne me donnera ni absinthe, ni livre, ni stylo, ni pinceau, il n’y aura pas de vue sur l’extérieur ; dans ma cellule, il n’y aura pas de fenêtre. Les cigales ne chantent plus, mais c’est mieux si les mâles écoutent. Een oarige ….. drôle de petit garçon. Il y a quelque chose en moi, mais quoi ? Je ne collectionne plus les nids d’oiseaux.

Je ne guette pas quand la femelle sortira du trou profond, je ne tire pas sur les œufs, je ne les écrase pas, je ne prends pas avec moi le tas de brindilles encore tiède pour qu’il réchauffe mon corps.

J’attends les gendarmes et qui sais-je encore, mais en attendant je reste un peu assis sous l’auvent avec des nids d’oiseaux au-dessus de ma tête.

(Traduit du hongrois par Catherine Tamussin)

Van Gogh – Le jardin du poète (1888, Arles) — A költő kertje